Se porter comme un charme, c'est bien,
mais qu'est-ce que ça veut dire ?

< dimanche 21 juin 2015 >
Chronique

Ce que ça veut dire, on le sait : « se bien porter, être en pleine forme ». Mais justifier la comparaison, c'est une autre paire de manches ! Que vient faire là ce charme et, surtout, de quel charme veut-on parler ?

Si l'on s'en tient à nos dictionnaires, c'est au sortilège qu'en l'occurrence il est fait allusion. Et tant pis si la comparaison est boiteuse, ce que sentent parfaitement nos lexicographes, lesquels se croient obligés d'ajouter « comme sous l'effet d'un charme ». De tels raccourcis ne sont certes pas exceptionnels dans la langue, mais on ne nous empêchera pas d'estimer que la métonymie a ici bon dos !

C'est si vrai que, par le passé, Pierre Larousse a préféré penser qu'il était question de l'arbre, se raccrochant aux branches d'une locution voisine, se porter comme un chêne. À désespérer de s'être cassé le tronc : l'explication est désormais boudée ! C'est que, susurrent les contestataires, le charme est loin de dégager cette impression de vigueur que personne n'irait marchander au chêne... Voire ! Nous lisons sous plus d'une plume respectable que ledit charme est « un arbre robuste, de culture facile ; [qui] tolère aussi bien le froid (...) que la chaleur, [qui] est peu sensible aux maladies et supporte la pollution des villes ». Son bois résistant servait même à « fabriquer le joug des attelages de bœufs »... Que demande le peuple ? Outre qu'il ne saurait y avoir de fumée sans feu de forêt, l'étymologie nous semble science trop incertaine pour que l'on condamne sans remords cette interprétation, qui a le mérite d'être syntaxiquement moins torturée que sa rivale !

Et, à tant faire, pourquoi ne pas citer une troisième version, qui, pour être plus rare, n'en a pas moins le mérite d'exister ? Notre charme serait une déformation de carme, ce religieux dit parfois déchaux parce qu'il se promenait les pieds nus dans des sandales. On n'ignore pas qu'une tradition irrévérencieuse a souvent présenté le moine comme quelqu'un de bien nourri, faisant plus envie que pitié ! C.Q.F.D., non ?

Une chose est sûre, c'est que la langue tire l'essentiel... de son propre charme de ces à-peu-près : n'est-il pas réconfortant de constater, dans ce monde où un et un font toujours deux, que, quand il y a place pour une hypothèse, il y en a pour trois ?