Le dictionnaire
n'est plus ce qu'il était...

< dimanche 7 juin 2015 >
Chronique

Que l'on n'aille pas voir dans ce titre une condamnation : tout au plus un constat lié à l'évolution de la langue et de la vie. Objectifs, attentes, dictionnaires d'hier et d'aujourd'hui n'ont plus grand-chose en commun !

Il n'est point besoin de rappeler ce que fut, au XVIIe siècle, le premier Dictionnaire de l'Académie française : la raison même de la création de l'illustre assemblée, la cause et non la conséquence ! Le pouvoir monarchique en escomptait l'unification d'un royaume aux multiples patois, auquel il importait de parler d'une seule voix, entendez d'une seule langue. Partant, il n'était pas question d'y laisser cohabiter le bon grain et l'ivraie : ne pouvait entrer ici, Jean Moulin, que la fine fleur d'un « françois » qui était à l'origine, on le sait, le parler de la seule Île-de-France. Le reste devait être piétiné d'importance. Le dictionnaire avait pour mission, longtemps avant que Malraux ne popularisât la formule, d'« approfondir la communion » plutôt que de « cultiver la différence ».

Il n'est que de feuilleter nos dictionnaires actuels (le millésime 2016 vient d'être porté sur les fonts baptismaux) pour constater que les temps ont changé. Désormais, on ne choisit plus : on ouvre grands les bras ! Bienvenue au belge réciproquer, à l'helvète (s)chneuquer, au québécois bidou, à l'africain siester. C'est qu'il faut vendre le produit ailleurs qu'en France et en Navarre, et caresser dans le sens de la page tous ceux qui « ont le français en partage » : la langue sera bigarrée ou ne se vendra pas ! Bienvenue aussi au français des banlieues, que symbolise le bolos... Le mot ne veut rien dire de précis, on ne sait ni d'où il sort ni comment l'écrire, c'est bien la preuve qu'il a sa place dans le dictionnaire. Tout y a d'ailleurs sa place, les régionalismes (s'empierger), l'anglais (lose), le familier (mémériser)... Jadis, de même qu'il y avait des maisons pour la tolérance, il y avait des dictionnaires spécifiques pour ça. À présent, rien de tel qu'une touche exotique pour convaincre le pandore de vous laisser entrer dans la boîte. Ne vivons-nous pas à l'ère bénie de la discrimination positive ?

Hier, le dictionnaire nous disait comment parler. Aujourd'hui, il nous dit comment nous parlons. Que ce qui n'a jamais révisé ses ambitions à la baisse — notre école, notre personnel politique, peut-être ? — lui adresse le premier reproche...