L'étymologie,
ses pompes et ses œuvres...
De toute éternité, on a cru que l'entourage des grands était, pour l'essentiel, constitué de « cireurs de pompes ». On sait depuis peu que ledit entourage ne dédaigne pas non plus, à l'occasion, de se faire cirer les siennes...
À quelque chose, en tout cas, l'affaire Aquilino Morelle se sera révélée utile : si elle a mis, récemment, l'exécutif dans ses petits souliers, elle nous permet aujourd'hui de retracer le fabuleux destin d'un mot dans les acceptions duquel il n'est pas rare que l'on s'emmêle les brosses. Ne lit-on pas plus souvent que de raison, en effet, et jusque dans les colonnes des meilleurs journaux, qu'un dirigeant en visite d'État s'est vu recevoir... « en grandes pompes », quand bien même il chausserait, à tout casser, du trente-huit ?
C'est qu'une pompe peut en cacher une autre. La première-née, apparue dès le XIIe siècle, nous vient du mot latin pompa, lequel s'appliquait à un cortège, à une procession. L'un comme l'autre se déroulant rarement dans la discrétion, rien de vraiment surprenant à ce que, très vite, l'on soit passé au sens figuré d'« apparat », de « déploiement de faste ». Nos modernes pompes funèbres ne sont pas les dernières à s'en souvenir, pas plus que cet adjectif pompeux, prompt à brocarder, dans les sphères littéraire et artistique, ce qui donne par trop dans l'emphase, la grandiloquence, voire la boursouflure !
Il est à noter que la religion, de son côté, n'aura pas peu fait pour ajouter au discrédit d'un vocable très vite appelé à symboliser les vanités humaines : quiconque voulait se montrer digne du Créateur n'était-il pas instamment prié de « renoncer au monde et à ses pompes » ?
Mais une deuxième pompe était déjà, si l'on ose dire, dans les tuyaux. D'origine germanique, celle-là, et très probablement onomatopéique dans sa formation. Autrement terre à terre, aussi, puisque, bien loin des raffinements du cérémonial susmentionné, il n'était plus question cette fois que d'une « machine permettant d'aspirer ou de refouler un liquide » : grandeur et décadence ! C'est bien sûr de ce second lit que naîtront, au XXe siècle, le mouvement de gymnastique naguère redouté des martyrs du bizutage comme, d'ailleurs, le « coup de pompe » qui s'ensuivait presque inévitablement. Mais encore, dès le XIXe siècle, et bien que la chose tombât déjà moins spontanément sous le sens, ce succédané argotique de la chaussure : il faut en effet comprendre que cette dernière, quand elle est usée au point de prendre l'eau, agit un peu comme une pompe aspirante dès lors que l'on foule un sol mouillé... Et tant pis si d'aucuns nous accusent, en l'espèce, de faire de l'étymologie à la petite semelle !
Est-il besoin de préciser, tant que l'on y est, que, quand quelqu'un accourt « à toute(s) pompe(s) », c'est sans doute moins de la chaussure qu'il s'agit que de ce qui a d'ordinaire vocation à se glisser à l'intérieur, en l'occurrence pieds et jambes... Elle n'est pas belle, la métonymie ?
La seule chose qu'il reste à établir, c'est la raison pour laquelle certains de ceux qui accèdent aux plus hautes responsabilités de l'État — de grosses pointures, n'en doutons pas ! — s'intéressent finalement plus à leurs pompes (dans les deux sens du terme) qu'à la mission que leur a expressément confiée l'électeur.
Mais peut-être cela s'explique-t-il par le fait que, de l'électeur, justement, ils n'ont alors plus rien à cirer ?