Le français ?
une véritable langue de fous !

< dimanche 23 mars 2014 >
Chronique

La coïncidence est troublante : dans moins de deux semaines se dérouleront à Lille et dans de nombreuses autres villes de France les demi-finales des Timbrés de l'orthographe, quatrièmes du nom. Et que retrouvait-on, cette année, parmi les traditionnels dix mots de la Semaine de la langue française et de la francophonie ? Le même « timbré » ! Un truc de ouf, non ?

En l'occurrence, c'est surtout le hasard qui a bien fait les choses. Le nouveau concours national d'orthographe, quand il en profiterait pour moquer au passage la passion, souvent déraisonnable, de ces originaux qui n'hésitent pas à coucher avec leurs dictionnaires, doit son nom au parrainage de... La Poste ! Pour la Délégation générale à la langue française, il s'agissait bien plutôt de rappeler qu'il sied — au moins une fois par an ! — d'aimer cette dernière à la folie. Mais au fait, pourquoi, depuis le XVIIIe siècle, traiter de « timbré » quiconque n'a plus toute sa raison ? La chose, pour tout dire, tombait davantage sous le sens quand jadis on évoquait, à propos d'un écervelé, une tête « mal timbrée », qui de ce fait rendait un son quelque peu... fêlé !

Force est en tout cas de constater que notre langue s'est montrée particulièrement inventive et accueillante chaque fois qu'il a été question de brocarder, dans la tête de son voisin évidemment, le petit vélo sur lequel ce dernier était censé pédaler : au royaume des frappadingues, le français est décidément roi ! Songez que, pour s'en tenir aux plus courants, l'on a le choix entre allumé, azimuté, barjot, branque, brindezingue, chtarbé, cinglé, cintré, déjanté, dingue, fada, foldingue, fondu, frappé, givré, jeté, louf, maboul, marbré, marteau, meuh-meuh, pété, piqué, ravagé, secoué, sinoque, siphonné, tapé, taré, toqué, zinzin ! Et l'on ne vous parle pas de ces locutions, toutes plus pittoresques les unes que les autres, que recense avec gourmandise Pierre Merle dans son Argus des mots (éditions l'Archipel) : onduler de la toiture, perdre la tramontane, yoyoter de la touffe, avoir une chambre à louer, à moins que ce ne soit une mie de pain dans la timbale, un hanneton sous l'abat-jour ou des papillons dans le compteur, cette dernière imaginée par le gouailleur Prévert et immortalisée par Arletty dans Le jour se lève de Marcel Carné, en 1939...

Il reste que le terme le plus attachant, le plus énigmatique aussi, est probablement un autre heureux élu de cette liste 2014 : hurluberlu. D'abord parce qu'il a connu différentes formes : hurluburlu chez Rabelais, où il figurait un saint imaginaire ; hurlubrelu chez Mme de Sévigné, où il s'appliquait à une coiffure de femme ; voire hustuberlu dans les rangs du peuple. Ensuite parce que plus protéiforme que celui-là, tu meurs : il a été adjectif, adverbe (au sens de « brusquement » !), et même interjection, chez le poète Jean Antoine de Baïf, avant de se découvrir substantif. Enfin et surtout parce que l'on écrirait des pages sur ses origines supposées. D'aucuns en effet veulent y voir la rencontre de l'ébouriffé (le hurel, au XVIe siècle, renvoyait à un homme aux cheveux hérissés) et de l'éberlué : tout un programme, à n'en pas douter, dès lors qu'il convient de représenter un farfelu de la pire espèce ! D'autres préfèrent miser sur un emprunt — déjà — à l'anglais hurly-burly, lequel connotait confusion et brouhaha : notre Rabelais national devrait en réalité le terme aux archers écossais de la garde du roi ! Littré, lui, avouait sa circonspection jusqu'à supposer que, somme toute, il ne s'agissait peut-être là que d'une formation de fantaisie, un peu, écrivait-il, comme ce tourlourou par lequel on désignait un jeune soldat d'infanterie.

Aussi bien, peu importe ! Hurluberlu fait partie de ces quelques privilégiés dont on devine le sens au premier regard. Et ça aussi c'est fou, non ?