On en a dit de... belles
à l'occasion du Nouvel An !

< dimanche 12 janvier 2014 >
Chronique

Ça n'a l'air de rien, comme ça. Il n'est d'ailleurs pas sûr que beaucoup s'en soient aperçus. Il n'empêche que 2013 a toutes les chances de rester, pour l'éternité, l'année où, sans crier gare, le bon s'est fait beau !

Jusqu'ici, en effet, on avait coutume de se souhaiter une « bonne année » — et surtout une bonne santé, allez ! Il est toujours permis de le faire, il va sans dire. Après tout, vous comptez peut-être déjà parmi ces ringards qui s'obstinent, envers et contre tout, à répondre « Pas de problème ! » quand la quasi-totalité de leur entourage a opté, depuis belle lurette, pour un « Pas de souci ! » autrement tendance... Si vous voulez absolument paraître « vintage », comme on dit en français d'aujourd'hui, ça vous regarde ! Mais le fin du fin, en cette Saint-Sylvestre, était incontestablement d'espérer pour ceux qui vous sont chers — et même pour les autres — une « belle année 2014 ». On n'en est pas encore à la « belle santé », mais chacun aura compris qu'en l'occurrence ce n'est plus qu'une question de jours...

Pour tout dire, le feu couvait sous la cendre depuis quelque temps : voilà déjà plusieurs mois que les esprits branchés se souhaitent à tue-tête une « belle journée ». Il faut reconnaître qu'en la matière nous autres Français avions jusqu'alors fait preuve d'un étonnant manque d'imagination, quand nos voisins d'outre-Manche, réputés tirer toujours les premiers, avaient depuis longtemps le choix entre « Have a good day ! », « Have a beautiful day ! » et même « Have a nice day ! ». Certes, la « belle journée » obtenait quelquefois chez nous un bon de sortie, mais c'était la plupart du temps sous un angle résolument météorologique, histoire de qualifier cette poignée d'heures proprement miraculeuses où, au plus fort de l'été, un chti pouvait se baigner du côté de Berck-sur-Mer sans risquer la broncho-pneumonie. Pour le reste, c'est « bon » qui jouissait d'une situation de monopole, du « Bonjour » matutinal au « Bonne nuit les petits », en passant par les « Bonnes Soirées » que vous promettait le magazine bien-pensant des années soixante.

Mais ça, c'était avant, comme on ne dit plus seulement chez Krys.

Entendons-nous bien : loin de nous l'intention de faire la fine bouche sur cet ultime avatar de la langue : on a connu cas infiniment plus pendables ! N'a-t-on pas, tout bien pesé, toujours parlé des meilleurs moments de notre existence comme de nos plus « belles » années ? La « belle vie » ne l'a-t-elle pas régulièrement emporté sur la « bonne » ? Ce qui fait peur, en revanche, c'est comme à l'habitude le phénomène de mode, ce côté « tout nouveau, tout beau » (c'est le cas ou jamais de le dire !), probablement amplifié ici par l'envie plus ou moins consciente de tailler enfin des croupières à une tradition qui commençait à peser : ainsi a-t-on, par le passé, délibérément sacrifié le « à » au « sur », le « oui » au « tout à fait », le « très » au « trop », l'« occasion » à l'« opportunité », l'« inévitable » à l'« incontournable », la « façon de procéder » au « mode opératoire » ! Ce qui fait peur encore, c'est l'excès qui nous incitera sous peu, n'en doutons pas, à faire bon marché des nuances, nous faisant confondre par exemple la « bonne nuit » (celle où l'on récupère) et la « belle nuit » (celle où a priori on a mieux à faire que de récupérer).

Rien n'interdit pourtant d'interpréter ce glissement du bon au beau de façon plus positive : ne serait-ce pas le signe tardif d'une réhabilitation de l'esthétique, aux dépens de cette sacro-sainte rentabilité à laquelle ne nous a que trop prédisposés notre civilisation matérialiste ? On va faire semblant d'y croire : aussi bien, n'est-ce pas la saison des vœux ?