« Deuxième tour » ou « second tour » :
sied-il encore d'écouter la différence ?

< dimanche 29 avril 2012 >
Chronique

Si la nature, on le sait, a horreur du vide, la grammaire, elle, déteste le trop-plein : dès que deux formes se font concurrence, elle n'a de cesse qu'elle ne trouve, des plus artificiellement parfois, de quoi les distinguer. Comment ne pas saisir l'occasion de ce que l'on appelle désormais l'entre-deux-tours pour revenir sur la chaotique cohabitation de deuxième et de second ?

Ironie de l'histoire : second (du latin secundus, « celui qui suit ») aura en réalité... précédé son rival de plus de deux siècles. Tant qu'il est resté le premier dans l'usage, remarque d'ailleurs Grevisse avec la malice qu'on lui connaît, chacun l'employait comme bon lui semblait. Ce n'est que quand il est devenu — si l'on ose s'exprimer ainsi ! — le second de deuxième que des théoriciens ont souhaité le confiner aux seuls cas où la série ne comporte que deux termes. Partant, on est fondé à écrire que Nicolas Sarkozy briguera dimanche prochain un « deuxième mandat » (la Constitution n'écarte pas l'éventualité d'un troisième, pourvu qu'il ne suive pas immédiatement les deux premiers). En revanche, on ne saurait évoquer que le « second mandat » de François Mitterrand, à moins que le malheureux, qu'après tout on ne surnommait pas Dieu pour rien, n'eût trouvé le moyen de renaître de ses cendres !

La règle — pour peu qu'il s'agisse là d'une règle — est loin d'être ignorée, ne serait-ce que parce qu'elle permet de briller à bon compte dans les salons. Quant à l'appliquer systématiquement, c'est une autre paire de manches. Il suffit de parcourir la presse de ces derniers jours pour s'apercevoir que, si le « second tour » arrive en tête, le « deuxième » réunit assez de suffrages pour le mettre en ballottage. Il est vrai que la variante paraîtra défendable à d'aucuns, dès lors que Marine Le Pen se console ouvertement à l'idée d'un « troisième tour législatif » et que Jean-Luc Mélenchon, de son côté, appelle de ses vœux un « troisième tour social »... De la même façon et pour changer de terrain, il se trouvera des esprits futés pour nous expliquer que si, dans la bouche de nos commentateurs sportifs, la « deuxième mi-temps » tend à l'emporter — et autrement qu'aux tirs au but — sur la « seconde », c'est parce que la « troisième », au rugby surtout, compte autant, sinon plus, que les deux premières !

Il n'empêche : pour qu'une règle fût considérée comme telle — et Dieu (pas Tonton, le vrai) sait qu'elle n'a jamais fait l'unanimité parmi nos grammairiens —, il faudrait qu'elle tirât sa légitimité d'autre chose que des exceptions qu'elle engendre. Or, en la matière, force est d'avouer que l'incohérence et l'arbitraire ont toujours régné. Dans les charades, par exemple, second est régulièrement préféré à deuxième, quand bien même le mot à deviner comporterait plus de deux syllabes. Au cœur d'une argumentation, « en second lieu » trouve souvent sa place, ce que confirme explicitement le Petit Robert, entre « en premier lieu » et « en dernier lieu »... alors qu'en toute logique ce « second » devrait être aussi le dernier. Et que dire des cas où l'adjectif est substantivé ! Les consignes de limitation de vitesse ont beau se faire drastiques et les radars se multiplier comme lapins au bord de nos routes, il n'apparaît pas jusqu'ici que les constructeurs d'automobiles aient résolu de ne plus offrir à leurs clients que le choix entre deux vitesses. Pourtant, qui serait assez puriste, au volant, pour vouloir « passer la deuxième » ?

Il reste à se demander si « second tour » ne prend pas actuellement le pas sur « deuxième tour » parce que, consciemment ou non, plus d'un électeur lassé par la campagne entend par là se rassurer... en se persuadant que ce sera bien le dernier !