Adjectif « bissextile » :
la possibilité d'un il ?

< dimanche 19 février 2012 >
Chronique

Tempête dans le verre d'eau du PAF, il y a quelque quinze jours : au grand dam de plus d'un téléspectateur, la graphie bissextil, lors de l'émission Money Drop, a été présentée comme correcte ! Et la Toile de s'enflammer contre ces ignares des étranges lucarnes qui concoctent des questions, mais feraient mieux de peaufiner leurs réponses...

Comment peut-on ignorer en effet, lit-on sur les forums, que bissextile se termine toujours par un « e », à l'instar de ces autres adjectifs que sont docile, facile et juvénile ? Pour ce dernier, on irait presque jusqu'à le regretter puisque cette orthographe, la même pour les deux genres, a le défaut de ne point nous renseigner sur le sexe de l'acné, qu'il accompagne si souvent : quand il s'entend demander si ce nom est masculin ou féminin, l'adolescent est loin de toujours savoir... quel bouton presser !

Au demeurant, force est de reconnaître que nombre de dictionnaires donnent raison à ces indignés. Le Petit Larousse tout d'abord, mais aussi, dans le camp d'en face, le Grand Robert et le Dixel. Certes, les plus avisés des usagers se seront aperçus que bissextile n'y est pas vraiment mis sur le même plan que les adjectifs des deux genres — les spécialistes parlent d'épicènes — que nous évoquions plus haut : celui-ci est un adjectif féminin, entendez par là que, pacsé pour l'éternité avec le substantif année, il n'a pas de masculin. Ainsi seule la rose sera toujours trémière, la porte cochère... et la femme enceinte ! Mais cela revient au même, non ?

Non. Car c'est précisément là que le bât blesse. Le Petit Robert, dans son édition 2012, nous rappelle pour sa part que le masculin bissextil a existé, que l'on parlait autrefois du « jour bissextil » (celui que, conformément à l'étymologie bis sextus, on redoublait, six jours avant les calendes de mars), et même d'un « an bissextil » (après tout, pourquoi pas ?). Ces deux-là étant tombés en désuétude, le masculin les aurait suivis dans leur disgrâce. Définitivement pour Larousse, mais apparemment pas pour le Petit Robert, lequel, en maintenant en entrée la forme masculine, prend un plaisir d'autant plus malin à nous rafraîchir la mémoire qu'il l'avait, de toute évidence, lui-même perdue durant de longues années : les éditions plus anciennes faisaient état du seul bissextile que plébiscitent aujourd'hui nos téléspectateurs en colère. Vous avez dit... versatile ?

Voilà qui, à tout le moins, nous conforte dans l'idée que l'orthographe n'a décidément rien d'une science exacte !

En voulez-vous un exemple supplémentaire ? Vous l'aurez, quand il risquerait, celui-là, de parler plus aux carabins — du moins à ceux d'entre eux qui se soucient encore d'orthographe ! — qu'au commun des lecteurs. Ce coma peu profond, qui n'empêche pas le sujet de percevoir certaines choses, est dit vigil chez Larousse, vigile chez Robert. Pour le coup, nos frères siamois de la lexicographie ont visiblement échangé leurs brassières, et c'est ainsi, aurait conclu ce bon Vialatte, qu'Allah est grand...

N'allez pas pour autant prendre des libertés les rares fois où nos frères ennemis se rabibochent. En qualifiant de volatile, par exemple, ce qui « passe spontanément à l'état de vapeur ». Là, le risque serait grand que l'on vous volât dans les plumes !