Pour faire le poids au bac,
il faudrait donc surveiller le sien ?

< dimanche 8 janvier 2012 >
Chronique

Dans sa récente Lettre ouverte au futur président de la République, le docteur Pierre Dukan, star incontestée du régime miracle, propose d'instaurer une option « Poids d'équilibre » au baccalauréat : l'objectif serait d'accorder des points aux élèves qui, au lycée, parviennent à maintenir leur indice de masse corporelle entre 18 et 25.

Nous passerons rapidement sur les inévitables sarcasmes et les plaisanteries faciles que cette proposition intelligente et novatrice ne pouvait que faire naître dans les médias. Pour quelques esprits mesurés qui ont reconnu que cette pondération-là en valait bien une autre — après tout, Dukan n'est pas le premier à vouloir « dégraisser le mammouth » —, combien se seront plu à souligner qu'en cette période de vaches maigres c'est à qui soumettra notre malheureuse Éducation nationale au régime le plus sec ! Que dire, en outre, des persifleurs patentés, lesquels ont immédiatement insinué que, pour les anorexiques, ce serait désormais la mention assurée...

C'est égal : en voilà au moins un qui a compris que l'école, de nos jours, était devenue pour l'essentiel un « lieu de vie »... Qu'il ne s'agissait plus tant d'y transmettre des savoirs — quelle idée réactionnaire, vous l'avouerez ! — que d'y dispenser de sages conseils pour l'existence à venir. Nul doute que, dans la foulée, ne se mettent promptement en place une option « Sevrage » (se verraient attribuer des points supplémentaires ceux qui pourraient apporter la preuve qu'ils ont renoncé à la cigarette, voire au joint, entre la seconde et la terminale) ; une option « Diététique » (même traitement de faveur, sur présentation d'une attestation dûment signée du « Masterchef » de l'établissement, pour celui qui, au moins cinq fois dans l'année, au réfectoire, aura délaissé les frites pour les brocolis) ; une option « Sus aux décibels ! » (destinée à préserver l'acuité auditive de nos chères têtes blondes, en les incitant à baisser le volume sonore de leurs sacro-saints baladeurs) ; une option « Safe sex » (que son intitulé so British promet sans conteste à un bel avenir et qui vaudrait un bonus à quiconque est en mesure de démontrer, la webcam faisant foi, qu'il sort toujours couvert) ; une option « Savoir-vivre », enfin, qui récompenserait l'élève dont le portable n'a jamais sonné au beau milieu d'un cours.

En ce qui concerne cette dernière, il va de soi que plusieurs heures de cours par semaine seraient prévues à l'emploi du temps, parce qu'il y a du boulot.

On nous dit que, pour l'heure, le ministère de l'Éducation nationale a réagi défavorablement, pour ne pas dire ironiquement, à la suggestion du docteur Dukan. Mais il aurait grand tort de la prendre, si l'on ose dire, à la légère. Ne verra-t-il pas bientôt là le plus sûr moyen d'afficher enfin 100 % de réussite, avec, en tête de gondole, des moyennes de 27,38/20 ? L'occasion ou jamais de réaliser un vieux fantasme et de prouver définitivement, chiffres à l'appui, que le niveau monte ?

Naturellement, il se trouvera des pisse-froid pour regretter que l'on ne songe pas plutôt à créer au bac une option « orthographe », laquelle avantagerait les élèves aptes à écrire une phrase qui eût encore du sens pour celui qui la lit. Mais on aura tôt fait de leur objecter, et avec juste raison, que savoir s'exprimer, à l'écrit comme à l'oral, n'est en rien indispensable à la vie : c'est en toute impunité, et jusqu'au plus haut de l'échelle, que notre langue est quotidiennement foulée aux pieds. À quoi diable pourrait-il donc servir d'en encourager la maîtrise ?