Notre lexique
a lui aussi ses intouchables !

< dimanche 20 novembre 2011 >
Chronique

Il y a bien sûr ceux du cinéma, qui connaissent le succès que l'on sait. Mais des intouchables, il en est aussi au sein de nos phrases. Entendez par là des mots et expressions qui, comme hier « c'est vrai que » ou « il n'y a pas de souci », fleurissent sans qu'on se soit donné la peine de les arroser. Ils ne correspondent pas toujours à ce que l'on veut exprimer, quelquefois même ils ne veulent rien dire du tout, mais gardez-vous bien de les chasser si vous souhaitez... paraître dans le vent !

En cette fin d'année 2011, arrive bon premier — nous nous abstiendrons, eu égard au contexte, de dire « dans un fauteuil » — l'adverbe juste. On se demande notamment ce que, sans lui, deviendraient nombre de nos sportifs dès qu'un micro se tend. Il n'a même pas fallu l'inventer, il existait déjà : il suffisait d'avoir l'idée de l'utiliser à toutes les sauces, devant n'importe quel nom ou adjectif, pour que fussent renvoyés à leurs chères études nos superlatifs traditionnels. Vous venez d'éliminer le favori alors que personne n'aurait misé une drachme sur vos chances ? C'est « juste un exploit ». Vous n'avez concédé à Usain Bolt que vingt mètres sur les cent que vous couriez derrière lui ? C'est « juste exceptionnel ». Vous êtes, dans les lacets de l'Alpe-d'Huez, resté dans la roue des meilleurs alors que, d'ordinaire, vous peinez à escalader le mont des Cats ? C'est « juste fabuleux ». Vous pouvez remiser au placard ce bon vieux « tout simplement », il ne servira pas de sitôt. La langue est parfois cruelle avec ceux qui furent, des décennies durant, ses fidèles serviteurs...

Autre vedette incontestée de ce début de millénaire, l'adjectif pérenne. Il n'est pas sûr qu'à la fin du siècle dernier tout le monde se soit seulement avisé de son existence. Tout... juste si les zélateurs du légendaire Lagarde et Michard se souvenaient de la « branloire pérenne » à laquelle Montaigne avait un jour cru bon de comparer notre univers, les autres n'en avaient strictement rien à... cirer. On connaissait certes la pérennité, et il arrivait qu'on y recourût de temps à autre, pour faire distingué. Mais de pérenne, nulle affaire. Notre président lui-même, dans le mémorable débat qui l'opposa, en 2007, à une Ségolène pleine de... courroucitude, lui inventa un masculin qui n'existait pas et le fit, pour la circonstance, rimer avec tintin ! Un dérapage plus contrôlé qu'il n'y parut à l'époque et dans lequel, avec le recul, on voudra voir un signe annonciateur de plans d'austérité à venir... Voilà, malgré tout, qui ne manquerait pas d'étonner aujourd'hui, alors que ledit pérenne, qu'il s'agisse d'emploi, de financement ou de système de retraite, est sur toutes les lèvres, fussent-elles gercées.

Pour compléter le podium — et ménager, après celles des adverbes et des adjectifs, toutes les catégories du personnel grammatical —, il faudrait encore citer le verbe impacter. Celui-là avait a priori tout pour déplaire. Le nom impact dont il descend n'était déjà pas en odeur de sainteté chez nos grammairiens, lesquels déploraient, à l'instar de Jean Girodet, qu'au sens figuré il fût « parfois employé de manière abusive dans une langue à la mode », en lieu et place des plus orthodoxes effet, répercussion, retentissement. Que dire, dès lors, du dérivé impacter, « avoir une incidence sur », dont se gargarisent aujourd'hui, sinon le commun des mortels, du moins les experts de tout poil qui colonisent les étranges lucarnes ? Vous ne voudriez pas — il faut savoir raison garder — que les plus démunis soient simplement touchés par une mesure alors qu'ils ont l'occasion inespérée d'être impactés par elle ?

Tant il est vrai que, pour recouvrir le grain des choses — lesquelles, à l'évidence, nous échappent de plus en plus —, on ne trouvera jamais mieux que la paille des mots...