En orthographe aussi,
faudra-t-il boycotter les légumes ?

< dimanche 12 juin 2011 >
Chronique

Les récents déboires du concombre ne doivent pas masquer l'essentiel : notre santé a probablement moins à craindre des légumes que l'orthographe.

Certes, ce n'est pas le pluriel de chou qui risque de nous prendre en défaut : nous avons été vaccinés très tôt, sur les bancs d'une école qui fleurait bon le Bled et le papier buvard Canson. Cette irrégularité-là ferait plutôt partie des meubles, sinon du patrimoine, au point que nous comprenons mal que des réformateurs épris de cohérence aillent régulièrement lui chercher des... poux dans la tête ! Pas grand-chose à redouter non plus du pluriel de mange-tout : ajouter un « s » à l'un ou à l'autre de ses éléments, de toute évidence invariables, ce serait la fin des haricots, non ? En revanche, nous ne miserions pas un radis sur le « t » final d'un artichaut qui, révérence parler, n'a que trop souvent... chaud aux fesses, pas plus que sur celui, désespérément unique, d'échalote. Il n'est point besoin d'éplucher longuement les étals des marchés pour constater que celui-là rime plus souvent, pour l'œil en tout cas, avec chochotte qu'avec jugeote... et que cela ne fait pas rougir grand monde, hormis peut-être les tomates avoisinantes.

Nous ne parierions pas davantage que nos compatriotes accordassent toujours au salsifis ce « s » qu'il est de bon ton de refuser au brocoli. Vous nous direz : il est plutôt rare qu'on les achète à l'unité, ce qui suffit à régler le problème. Même chose pour le mot scorsonère, qui désigne une variété à peau noire dudit salsifis, et dont on ignore souvent qu'il est du féminin. Bernard Pivot, cette... grosse légume de l'orthographe, était allé jusqu'à en faire l'une des pires chausse-trapes de sa toute première finale, en 1985 ! Votre serviteur lui doit d'ailleurs de l'avoir emporté ce jour-là, puisque sa dauphine, qui ne commit qu'une malheureuse demi-faute de plus que lui, avait cru bon de lui administrer une dose de testostérone. Le fortuné vainqueur peut bien l'avouer, à présent qu'il y a prescription : pas vraiment rompu aux courses du ménage, il ne savait seulement pas à quoi ressemblait la scorsonère en question !

Notre nouveau Mérimée ne s'arrêterait d'ailleurs pas en si bon chemin : des années plus tard, sur la scène de l'Opéra-Comique, il allait, histoire de soumettre ses victimes consentantes à la question, les gratifier d'une raiponce, laquelle lui vaudrait pas mal de salades de la part de candidats qui, pour accepter de se faire assaisonner, ne détestent rien tant que d'être pris pour des cornichons.

Puisque nous en sommes aux salades, il faudrait encore évoquer ces scaroles qui, plus souvent qu'à leur tour, se sentent pousser des « l » supplémentaires ; la mâche — oubliez l'accent circonflexe samedi prochain, à l'occasion de la finale des Timbrés de l'orthographe, il nous étonnerait fort que le jury se montrât bon comme la romaine ; ou encore le mesclun et sa finale improbable, au moins pour ceux qui, un tantinet durs de la feuille, ne parviennent plus guère à la distinguer, phonétiquement parlant, de celle de mesquin !

Et nous ne citons que pour mémoire les chayot(t)es ou chaïotes, giraumon(t)s, malossols, momordiques et autres étranges cucurbitacées que le Créateur, dans son infinie magnanimité, a dû fignoler le huitième jour, dans le seul dessein de ménager des accrocs aux accros de la dictée.

Cela dit, le fin du fin est sans doute, on l'a vu un peu plus haut, ce légume lui-même qui, sans vergogne, joue les transsexuels dès qu'on l'arrache à son potager pour l'appliquer à une... huile ! C'est que le bougre, qui fut longtemps du féminin, a lâchement choisi de s'en souvenir dans cette seule acception familière.

Et l'on voudrait que l'on consommât cinq fruits et légumes par jour ? À condition, alors, de ne pas avoir à écrire leur nom !