Un spectacle des plus consternant...
ou des plus consternants ?
Comme l'affirmait un constructeur d'automobiles il y a quelque vingt ans, « on ne peut pas se tromper tout le temps ! » Il est heureusement des cas — trop rares, convenons-en — où la grammaire nous donne raison, quoi que l'on fasse. En témoigne la question, que chacun s'est posée un jour ou l'autre, du nombre de l'adjectif après des plus...
La tradition fait dans le gros bon sens en exigeant le pluriel : le spectacle que nous a offert l'équipe de France restera en effet, dans l'histoire de la Coupe du monde, comme l'un des plus consternants (spectacles) auxquels il nous ait été donné d'assister. Des plus signifiant de toute évidence « entre les plus... », « parmi les plus... », voilà qui peut paraître incontestable.
Ce serait pourtant compter sans cette règle non écrite selon laquelle deux ou plusieurs termes pourvus chacun d'un sens distinct finissent souvent par s'en dépouiller au profit d'un signe compact doté, lui, d'une signification unique. C'est ainsi qu'aujourd'hui la coloration négative de l'expression ni plus ni moins, perceptible pourtant deux fois plutôt qu'une à travers la répétition des ni, n'est plus guère perçue par l'usager, qui y voit surtout un synonyme de l'adverbe autant. On dit aussi bien, désormais : « J'en veux ni plus ni moins à Escalettes qu'à Domenech » que « Je n'en veux ni plus ni moins à Escalettes qu'à Domenech ».
Pour en revenir au sujet du jour, des plus a subi une évolution en tout point identique. Loin de toujours supposer une comparaison avec d'autres éléments de même nature, il a viré au superlatif absolu, avec pour sens « très », « extrêmement ». Le spectacle dont nous parlions ci-dessus ne requérant pas qu'on le confronte à d'hypothétiques précédents pour paraître consternant au plus haut point, le singulier se conçoit tout autant que le pluriel. Reconnaissons même que, dans certaines circonstances, il semble de loin préférable, et pour des raisons qui ne tiennent pas toutes à la grammaire. Oserait-on écrire de quelqu'un, sans faire peser les pires soupçons sur la vertu de la malheureuse, qu'il est « des plus satisfaits de sa femme » ?
N'ont pas peu contribué à légitimer le choix du singulier ces quelques cas de figure où la syntaxe s'oppose, le plus logiquement du monde, à l'usage du pluriel. D'abord celui où des plus est suivi d'un adverbe, mot invariable par essence : « À la mi-temps du match France-Mexique, Anelka s'est opposé des plus fermement à la tactique du sélectionneur. » Mais aussi ceux où des plus se rapporte à un verbe à l'infinitif (« Reprendre l'entraînement dans une ambiance aussi délétère devait être des plus difficile ») ou à un pronom neutre (« Battre l'Afrique du Sud de quatre buts au moins ? Cela semblait des plus utopique »). Impossible, en effet, de se recommander alors d'une éventuelle ellipse, aucun nom n'ayant été exprimé auparavant.
Voilà pourquoi l'on est fondé à écrire indifféremment, et sans risque aucun de se voir infliger un carton jaune par le grammairien de service, que l'expédition d'Afrique du Sud aura été des plus désastreuse ou des plus désastreuses pour l'image de notre pays.
Afin d'oublier tout cela, et parce que, comme chaque année, cette chronique entre en hibernation... durant l'été, il ne nous reste qu'à vous souhaiter des vacances des plus réparatrices. Là, au moins, le pluriel ne se discute pas !