Langue française :
sous la plage, les pavés !
Voici revenus, avec le printemps, la Semaine de la langue française et son bouquet de mots, que l'on nous invite à admirer... et à arroser ! Une fois l'an en effet — et les pragmatiques nous diront, non sans raison, que c'est mieux que rien —, on feint de se souvenir en haut lieu que le français est partie prenante dans cette « identité nationale » qui a fait couler tellement d'encre, il y a peu...
Cette année, l'accent a visiblement été mis sur la capacité de notre langue à évoluer, à s'adapter, à relever les défis que lui lance un monde devenu trop grand pour ses rêves. Trois des dix mots qui ornent l'affiche ci-contre illustrent notamment ses efforts pour donner un nom aux choses. Force est d'avouer qu'on les a choisis avec soin car, en la matière, on ne compte pas, il faut bien le reconnaître, que des succès. Mais qui songerait aujourd'hui — pourvu, bien sûr, qu'on ne l'affublât pas d'un second « l » superfétatoire — à envoyer balader le baladeur, qui a su prendre le pas sur le walkman ? Qui, dans un pays qui a toujours fait du langage un compagnon de jeu, pourrait rester insensible au remue-méninges, lequel nous offre une chance d'échapper à l'imprononçable brainstorming ? Quant à ce joli mentor que nous devons, par antonomase, au précepteur de Télémaque, c'est peu dire qu'il ne nous a pas encore délivrés du coach — nous ne pensons évidemment pas à Domenech (quoique...), mais à ce conseiller personnel qui vise à améliorer nos performances. Il mériterait, en tout cas, d'y parvenir !
On s'en voudrait de pourrir l'ambiance. Il nous faut pourtant rappeler ici que s'adapter n'a jamais voulu dire capituler. Et comment ne pas s'inquiéter, voire se scandaliser, en entendant ces derniers jours le président de la Conférence des grandes écoles, Pierre Tapie, affirmer qu'il faut « abolir ou amender » la loi Toubon (1) et généraliser les cours en anglais dans l'enseignement supérieur ? Quand on sait que soixante pour cent desdits cours se donnent déjà en anglais dans certaines grandes écoles, comme l'EMLyon, on en vient à se demander ce qu'il reste à « généraliser » !
Naturellement, les bonnes âmes qui nous servent d'élites ont beau jeu de se draper dans la pureté de leurs intentions : « Il faut être francophile, explique finement Pierre Tapie, avant d'être francophone. » À ceci près que, pour aimer un pays, le mieux est encore de parler sa langue. Si, comme le disait Éric Zemmour ce lundi, des étudiants étrangers souhaitent vraiment être formés « à la française » (belle hypocrisie quand près de la moitié du corps professoral de la même EMLyon est constituée d'enseignants étrangers), on ne voit pas ce qui les empêcherait d'aller jusqu'au bout de leur logique en suivant les cours en français. N'est-ce pas la langue qui structure la pensée, et non l'inverse ?
Faut-il d'ailleurs préciser que ces déclarations la main sur le cœur sont vite couvertes par le cliquetis des tiroirs-caisses ? Il s'agit surtout, Pierre Tapie ne s'en est pas caché, de tripler le nombre d'étudiants étrangers en dix ans et de faire gagner cinq milliards d'euros à notre enseignement supérieur.
Et, pour ce faire, il va de soi que ces têtes pensantes que le monde entier nous envie sont prêtes à vendre leur âme... et la nôtre.
Quelque chose nous dit que, pour le prochain « prix de la Carpette anglaise » (2), ce monsieur Tapie a toutes les chances de monter sur le podium. Et pas seulement à cause de son patronyme !
(1) Loi du 4 août 1994 destinée à protéger le patrimoine linguistique français.
(2) Prix d'indignité civique décerné chaque année à qui s'est distingué par son acharnement à promouvoir la domination de l'anglais en France.