Du luxe, notre orthographe ?

< dimanche 1er février 2009 >
Chronique

C'est en tout cas le constat que dresse, dans un ouvrage récent (L'orthographe en crise à l'école. Et si l'histoire montrait le chemin ?), André Chervel, chercheur à l'INRP (Institut national de la recherche pédagogique) : « S'il fallait réellement enseigner à tous l'orthographe actuelle, confiait-il au Monde il y a peu, cela aurait un coût énorme, en efforts et en temps. »

« Si l'on voulait vraiment revenir au niveau des années 1920-1950, poursuit l'auteur, il faudrait que les élèves y passent au moins une heure par jour pendant la majeure partie de leur scolarité. On serait alors obligé de renoncer à des enseignements modernes qui sont d'une importance majeure. Ce serait un non-sens. » Que faire, alors, devant le niveau souvent calamiteux de nos étudiants dans ce domaine ? Réformer l'orthographe. Non pas à fleurets mouchetés, à l'instar des rectifications par trop timorées de 1990, ici assimilées à un « divertissement de lettrés ». Mais sabre au clair : suppression des consonnes doubles inutiles à la prononciation, abandon des lettres grecques et de tout souci de l'étymologie. De la sorte, l'ortografe serait moins dificile au colège, et l'on pourrait se consacrer à la fisique ! Entreprendre une telle réforme, s'enthousiasme le chercheur, ce ne serait pas rompre avec la tradition mais au contraire renouer avec elle : jusqu'en 1835 — date à laquelle elle s'est figée —, notre orthographe n'avait cessé de se simplifier, sans heurts ni drames... Ce serait du même coup contribuer à réduire la « fracture orthographique de la société », la maîtrise de la langue étant, aujourd'hui plus que jamais, l'apanage d'une caste...

L'antienne est ancienne. Déjà, en 1989, Jean-Claude Barbarant, secrétaire général du Syndicat national des instituteurs et professeurs d'enseignement général de collège, déplorait le temps que, selon lui, on perdait à enseigner une orthographe désuète. Quant au procès en élitisme, il est presque aussi vieux que l'orthographe elle-même.

Pour le reste, se trouve confirmé avec éclat ce que l'on constate au sein de notre Éducation nationale depuis des lustres : la notion d'effort y est devenue suspecte. Chercheurs et pédagogues ne réfléchissent plus aux moyens de transmettre un savoir, mais de vider celui-ci de sa substance. Il y a quelque chose d'attendrissant à entendre André Chervel, décidément grand seigneur, plaider la nécessité de continuer à enseigner l'orthographe, « ciment graphique d'une culture ». Mais de quelle culture, sinon celle de la paresse, serait porteuse l'orthographe aseptisée et purement utilitaire qu'il appelle de ses vœux ?

Rassurons ceux qui, à bon droit, s'effraieraient de voir que de telles idées sont bien en cour dans les hautes sphères éducatives : notre homme s'est souvent trompé. En 1969, il écrivait avec Claire Blanche-Benveniste que le niveau en orthographe avait « probablement baissé ». En 1989, avec Danièle Manesse cette fois, il prouvait scientifiquement le contraire. En décembre 2008, il jugeait « indéniable » la chute de la maîtrise orthographique. Visiblement, le chercheur Chervel cherche et se cherche. Encore un effort, et il trouvera que les fautes qui émaillent les copies des élèves ont moins à voir avec la difficulté présumée de l'orthographe qu'avec un manque de rigueur et d'attention. Il est vrai que nos pédagogues des sciences de l'éducation se sentiraient déshonorés d'avoir à réhabiliter ces valeurs-là.