À l'origine du pique-nique,
il y a à boire et à manger !

< dimanche 28 septembre 2008 >
Chronique

Bien malin qui pourrait dire si Jean-Louis Borloo, échaudé d'importance dans l'affaire de la « taxe pique-nique », remettra le couvert avant qu'il soit longtemps ! Le ministre de l'Écologie dût-il, après cela, se sentir moyennement dans son assiette, grâces lui soient en tout cas rendues pour avoir attiré notre attention sur l'un des mots les plus énigmatiques de notre lexique...

À en croire Larousse et Robert, pourtant, l'étymologie de l'intéressé ne souffre aucune discussion. De toute évidence, le temps n'est plus où Littré pouvait affirmer qu'il avait pour origine to pick, « saisir », et nick, « point, instant », ajoutant même, un brin péremptoire, que cette explication « dispense de toutes les étymologies qui ont été faites sur pique-nique » ! D'abord parce qu'il semble établi désormais que, comme souvent, le mot a été français avant d'être « réemprunté » à l'anglais. Ensuite et surtout parce qu'on n'aperçoit pas clairement le rapport entre cette « saisie de l'instant » (encore s'il s'agissait, lointain écho du Carpe diem d'Horace, de « cueillir le jour » !) et le déjeuner sur l'herbe en question... On préfère donc voir aujourd'hui, dans cette nique, un mot français du XIIIe siècle qui se serait initialement appliqué à ce qui suscitait indifférence et moquerie — l'expression encore vivace faire la nique à quelqu'un en conserve le souvenir —, puis, par métonymie, à un « objet sans valeur ». Broutille, bagatelle, billevesée, quoi ! Le verbe piquer, de son côté, allant davantage de soi, le pique-nique consisterait, au regard de l'étymologie, à « picorer des riens », à grignoter de-ci de-là. Séduisant, non ? Et voilà qui, de surcroît, justifie le pluriel pique-niques : seul le second élément en reçoit la marque, le premier étant un verbe, par essence invariable...

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes étymologiques possibles si — tous s'accordent sur ce point — repas à pique-nique n'avait primitivement signifié, en français : « repas où chaque convive paie son écot ou apporte son plat ». Dans cette acception originelle, force est d'avouer que le rapport avec le grignotage n'a plus rien d'évident ! Et ce d'autant plus que les premiers pique-niques n'étaient rien moins que frugaux : ils ne se déroulaient pas nécessairement en plein air et se prolongeaient plus souvent qu'à leur tour ! D'où, à l'époque, une floraison d'interprétations qui n'avaient que peu à voir avec la thèse actuelle. Certains — déjà ! — cherchaient du côté de la perfide Albion et flairaient là une déformation de « pick an each » (mais le sens ?) ; d'autres, voulant voir dans la nique une « monnaie sans valeur », plaidaient pour un repas où chacun « piquait au plat pour sa nique », soit au prorata de sa contribution ; d'autres encore prenaient leurs fantasmes pour des réalités, la palme de l'imagination revenant sans conteste à François Génin dans ses Récréations philologiques (1858). Le drôle ne va-t-il pas supposer qu'à la pique (« mauvaise humeur, bouderie ») répond la nique (« clin d'œil de mépris ou de moquerie »), ce qui siérait à un repas dans lequel aucun convive n'est redevable de rien à son voisin : « tu me piques, je te nique (en tout bien tout honneur, la connotation vulgaire n'ayant pas cours à l'époque), partant quittes ! » Une chose est sûre, on gagnerait à taxer les étymologies plutôt que les gobelets en carton...