Un peu de soleil...
dans une eau qui reste très froide !
La vie du chroniqueur de langue n'a rien d'un long fleuve tranquille. À quelque source qu'il s'abreuve, l'eau est souvent croupie. Le barbarisme sourd sous chacun de ses pas. Tel celui des Danaïdes, le tonneau qu'il s'acharne à remplir fuit de toutes parts.
Ouvre-t-il d'une main distraite, le 28 décembre dernier, ce monument incontesté de la presse française qu'est depuis toujours Le Figaro ? C'est pour y découvrir, interloqué, un subjonctif imparfait d'un nouveau genre, que Bescherelle a jusqu'ici négligé de recenser : « Bien qu'elle se sachât menacée, Benazir Bhutto ne pouvait renoncer aux rassemblements de masse, son principal atout. » Louable, disons-le tout net, est en l'occurrence l'intention, en ce siècle dépravé où la concordance des temps souffre mille morts. Tout aussi méritoire, le scrupuleux maintien d'un accent circonflexe à qui, trop souvent, l'on fait porter le chapeau de nos négligences. Pour que la fête fût complète, il aurait suffi que l'on... sût conjuguer l'intéressé.
Mais puisque, de Figaro à Barbier, il n'y a qu'un pas, pourquoi ne pas jeter un coup d'œil sur l'éditorial que le rédacteur en chef de L'Express consacre, au début de ce mois, au phénomène chti ? Bien bel article, en vérité, l'un des plus beaux qui aient été écrits sur le sujet. On y chante notamment la capacité des gens du Nord, pour préserver leurs racines et leur culture, d'« ouvrir les bras » plutôt que de « montrer le poing ». Le Flamand — et néanmoins chti — que nous sommes boit du petit-lait, jusqu'à ce qu'il tombe (c'est le mot qui convient) sur cette phrase : « Pays de cicatrices, le Nord ne geint ni ne "braie", il sèche ses yeux et se retrousse les manches. » Va pour le fond, dont on comprendra sans peine, là encore, qu'il flatte notre ego. Mais ce verbe « brayer », d'où sort-il ? Il ne peut s'agir, à l'évidence, du braire dont Dany Boon affirme qu'on le fait deux fois, la première en arrivant dans le Nord, la seconde en le quittant : il n'y a pas si longtemps, on eût coiffé du bonnet d'âne quiconque, fût-ce entre guillemets, aurait assorti celui-là, à la troisième personne du singulier du présent, d'un « e » plutôt que d'un « t ». Alors ? Qu'a voulu dire Christophe Barbier ?
L'infortuné chroniqueur se posait toujours la question quand, au matin du 17 mars, il entendit évoquer tout de go sur France 2, et à deux reprises s'il vous plaît, « les villes que la gauche avait reconquéries » à l'occasion des élections municipales. La dernière fois qu'à notre connaissance cette belle bleue a illuminé le ciel de nos étranges lucarnes, elle émanait d'un footballeur de la même couleur, qui s'était couvert de gloire au cours d'un été 98 de brillante mémoire. Pour nous consoler, nous nous étions alors dit, et avec juste raison, que pour gagner la Coupe du monde, mieux vaut sans doute hanter les tables de massage que celles de conjugaison. Mais un journaliste politique ?
Nous n'écartions plus d'emblée le suicide quand, n'ayons pas peur des mots, un miracle nous en détourna. Il se produisit à Roissy, sur les lieux mêmes où, voici deux ans, s'étalait en lettres de feu le slogan bien de chez nous : « The world is our guest ». Nous n'avions pas manqué de pester, à l'époque, dans ces colonnes comme dans celles du magazine Le Nord, contre cette nouvelle bouffée d'anglomanie. Loin de nous l'idée d'y être pour quelque chose, mais, sous le logo des Aéroports de Paris, on peut lire désormais : « Le monde entier est notre invité. » Allez, tout n'est pas perdu. Plus que jamais, il importe de continuer le combat.