Globe, mappemonde, planisphère :
un univers impitoyable

< dimanche 25 novembre 2007 >
Chronique

Décidément, tout s'achète et tout se vend. Cher, qui plus est. Si nul ne s'étonnera qu'un escalier de la tour Eiffel soit de nature à faire monter les enchères chez Drouot, pouvait-on s'attendre qu'un globe terrestre trouve preneur à cent mille dollars sous prétexte qu'il aurait appartenu à un Adolf Hitler ayant depuis longtemps perdu la boule ? C'est pourtant ce qui vient de se passer dans une vente de San Francisco : « Plus de soixante ans après que Charlie Chaplin en eut fait l'héroïne d'une célèbre scène de son Dictateur, la mappemonde d'Hitler fait aujourd'hui la fortune d'un soldat américain », lisait-on le 16 novembre dans les colonnes de notre confrère Le Monde. Le moins étonnant n'étant pas que l'on s'obstine, et pas seulement dans les hautes sphères, à appeler mappemonde un simple globe terrestre ! Au demeurant, la confusion n'est pas récente : ce polisson de Théophile Gautier n'écrivait-il pas déjà, en 1835, à propos d'une dame aux plantureux appas, qu'elle étalait « bravement deux hémisphères qui, s'ils étaient réunis, formeraient une mappemonde d'une grandeur naturelle » ? Pour peu que l'on donnât audit mot son vrai sens, la malheureuse devait être aussi plate qu'une planche à pain : la mappemonde est en réalité, comme l'étymologie ne laisse pas de l'attester d'ailleurs, une « carte du monde » (en latin mappa mundi, l'allemand s'en souvenant mieux que nous grâce à sa Mappe). Autrement dit, une représentation on ne peut plus plane de notre planète ! La plupart de nos dictionnaires, une fois signalée pour mémoire l'acception abusive que nous dénonçons ici, vont jusqu'à en faire un synonyme de planisphère, ce qui, soit dit en passant, est tout aussi inexact et revient à ne pas vouloir nous dévoiler le... dessous des cartes ! Au sens strict, en effet, il semble que le terme de mappemonde doive être réservé au cas où la carte est divisée en deux hémisphères, alors qu'un planisphère digne de ce nom est censé représenter l'ensemble du globe en une seule projection plane ! Cela n'empêche nullement certains ouvrages réputés pour leur sérieux de nous expliquer doctement l'inverse. Nombre de lecteurs en concluront, non sans raison, que la mappemonde n'est pas la seule, dans cette histoire, à ne pas tourner rond ; que ces distinguos sont bien faits pour échapper aux esprits terre à terre... et qu'en dépit du contexte on serait malvenu à s'en faire tout un monde !