Vers une orthographe
génétiquement modifiée ?
Nous ne croyions pas si bien dire en prétendant, le 1er avril, que la parité aurait bientôt raison de la sacro-sainte règle grammaticale qui veut que le masculin l'emporte. Depuis dimanche dernier, on peut considérer que c'est chose faite ou presque. Le discours qu'a prononcé Ségolène Royal dans son fief de Melle, au soir du premier tour, est en effet sans équivoque : à cinq ou six reprises, elle s'est adressée à « toutes celles et ceux qui... ». Eu égard à l'importance de ce genre de déclaration, où chaque mot compte et pèse des milliers de voix, dont chaque passage a dû être lu et relu par un aréopage de linguistes dévoués à la cause, le doute n'est plus permis : le féminin a grammaticalement pris le pouvoir. Là où le politicien macho de la IVe République se serait contenté d'un tous ceux, là où de Gaulle se serait fendu d'un tous ceux et celles, là où les plus féministes de nos prétendants à l'Élysée auraient recouru à un lourdaud mais correct toutes celles et tous ceux, la candidate socialiste a franchi le Rubicon en rassemblant un pronom féminin (celles) et un autre masculin (ceux) sous la bannière commune d'un féminin pluriel (l'adjectif toutes). N'ayons pas peur des mots : c'est une révolution ! Mais peut-être la présidente du Poitou-Charentes entendait-elle par là reprendre la main après les hardiesses typographiques dont, sur sa gauche, venaient de faire preuve plusieurs professions de foi ? Celle de Marie-George Buffet abondait, par exemple, en « élu-es », « salarié-es », « citoyen-nes » et « intermittent-e-s du spectacle ». N'y dépeignait-on pas, en outre, le monde comme une « jungle où chacun-e est livré-e à soi-même » ? Olivier Besancenot plaidait, lui, pour le mariage des « homosexuel-le-s ». Quant à la prose de José Bové, elle n'était pas sans rappeler — surtout lorsqu'il réclamait le droit de vote pour « tou-te-s les résident-e-s étranger-e-s » et l'égalité des droits « pour les transexuelLEs » (sic, et tant pis pour le s manquant) — le langage des extraterrestres dans la bande dessinée des années soixante. Mais le point de non-retour fut chez lui atteint avec cette formule : « Les électrices et les électeurs se sont insurgé-e-s contre le projet de Constitution européenne. » On ne saurait mieux signifier que la règle traditionnelle a vécu ; que le neutre, de facto, n'a plus cours en français ; et que nous sommes entrés de plain-pied, grâce à cette campagne électorale, dans l'ère du... génétiquement correct !