Le secret des Bleus :
« Des mots, simplement des mots... »

< dimanche 9 juillet 2006 >
Chronique

Le moyen, à quelques heures d'une finale de Coupe du monde, de parler d'autre chose ? Libre à d'aucuns de considérer que nous outrepassons ici nos attributions : nous pensons au contraire, avec Thuram, que le parcours des Bleus doit beaucoup... aux mots. On pourra toujours gloser, en effet, sur la part qui revient au préparateur physique Robert Duverne ; sur le rôle du providentiel Zidane ; sur le savant dosage de l'expérience et de la jeunesse ; sur ce réalisme qui nous faisait hier tellement défaut, et que nos mercenaires ont patiemment appris sur les gazons d'Europe... Sans aller jusqu'à prétendre, à l'instar d'Eugène Saccomano, que les journalistes, si injustes qu'ils se soient parfois montrés, auront été les principaux artisans de l'éclosion des Bleus, force est pourtant d'admettre que tout est allé mieux à partir du jour où — au diable l'euphémisme ! — ces derniers se sont vu traiter de « vieux » ; où, avec une compassion feinte, la presse espagnole a évoqué le « jubilé » de notre capitaine et invité les Ibères à précipiter sa « retraite ». Pain bénit pour ce fin psychologue qu'est Domenech, lequel sait bien que si le football se joue avec les pieds, c'est d'abord dans la tête que ça se passe. L'entraîneur — pardon, le coach — français n'aura pas même eu à « trouver les mots », on les lui a fournis sur un plateau ! Plus personne n'ignorait, depuis Giraudoux et La guerre de Troie n'aura pas lieu, que « le corps est plus vulnérable quand l'amour-propre est à vif » ; que le maniement de l'épithète, autrement dit l'insulte, est le préalable obligé à tout combat — et le football, ne nous berçons pas d'illusions, en est un au premier chef. Le sélectionneur espagnol Luis Aragones semble d'ailleurs avoir fait dudit Giraudoux son auteur de chevet puisqu'en juillet 2004 il n'a pas hésité à parler de Thierry Henry comme d'un « Negro de mierda » (faut-il vraiment traduire ?), histoire, se justifiera-t-il devant ceux qui le condamneront à trois mille euros d'amende, de « stimuler » ses joueurs. Mais on vient de vérifier que l'arme est à double tranchant et que la bête n'est jamais aussi dangereuse que quand elle est blessée. L'avenir serait donc rose si l'ultime adversaire ne s'avançait, lui, « auréolé » du scandale du Calcio. Vaut-il mieux, pour la cohésion d'une équipe, que ses éléments se fassent traiter de « vieux » ou de « tricheurs » ? De la réponse à cette question, plus que de toute autre considération technique ou tactique, dépend l'issue de la finale de ce soir.