Sur le modèle des « chats hypoallergéniques »...

Une orthographe transgénique ?

< mardi 30 novembre 2004 >
Chronique

Décidément, on n'arrête pas le progrès. Notre rubrique dominicale Le Monde à l'envers ne vous a-t-elle pas appris, il y a quelque huit jours, qu'à partir de 2007 on disposerait de « matous transgéniques » dont la fourrure, bricolée au petit poil, ne provoquerait plus les salves d'éternuements que les sujets allergiques ne connaissent que trop ? Espérons que la science ne bornera pas là ses ambitions et que, dans la foulée, elle inondera bientôt le marché de coqs qui respectent la grasse matinée du dimanche ; d'abeilles sans dard, tout sucre tout miel ; voire de poissons rouges qui se laissent caresser hors du bocal ! À tant faire que de se réfugier dans le rêve, imaginons plus extraordinaire encore : que prenant buffles et mouflons par les cornes, on les oblige à se mettre enfin d'accord sur le nombre de leurs f ; que l'on en fasse autant pour les n du saumoneau et du fauconneau ; que l'on ne tolère plus que busard et balbuzard, tous deux rapaces diurnes comme chacun sait, fassent branche à part en optant l'un pour le s, l'autre pour le z ; que, simultanément, soit mis fin à cette zizanie orthographique qui, au royaume des antilopes d'Afrique australe, oppose depuis toujours les springboks (sans c) aux steinbocks (avec un c). Si, dans le même ordre d'idées, la création ne parvient pas à se passer de ces nauséabondes bébêtes apparentées au putois, ne pourrait-on du moins en fabriquer une dont on sache une fois pour toutes s'il faut l'appeler mofette, moufette ou mouffette ? Sconse, skons, skuns ou skunks ? C'est qu'à l'image de Dame nature, notre orthographe n'est exempte ni de défauts ni d'à-peu-près. Est-il bien raisonnable, sabre de bois, d'avoir fait termite masculin quand mite est du féminin ? Pourquoi diable le caracul, mouton d'Asie centrale, peut-il aussi s'écrire karakul alors que pareil avatar est formellement interdit au petit lynx nommé caracal ? On en viendrait à comprendre, a fortiori au lendemain d'une dictée de Pivot, que d'aucuns appellent de leurs vœux une orthographe transgénique, débarrassée des inévitables ratés de l'évolution. On ne serait pas autrement étonné que l'on réclamât sous peu des chatons qui ne perdent plus leurs poils, et même, pour protéger le canapé flambant neuf du salon, démunis de griffes. Mais seraient-ce encore des chats ? Et cette orthographe aseptisée, pour irréprochable qu'elle parût, aurait-elle encore une âme ?