Bicyclette ou vélo ?

À chacun sa vérité

< mardi 2 juillet 2002 >
Chronique

À l'heure où le Tour, histoire de nous remettre en selle après la déconvenue du Mondial, s'apprête à s'élancer sur les routes de France, il nous semble du plus élémentaire devoir d'un chroniqueur du langage de poser cette grave question : quelle différence existe-t-il au juste entre une bicyclette et un vélo ? Pour Larousse comme pour Robert, aucune. Le premier fait de vélo une variante familière de bicyclette. Quant au second, il met également la pédale douce en parlant aussi bien de vélos de course que de courses de bicyclettes. Mais écoutons René Fallet, qui en connaissait un rayon sur la petite reine : « En aucun cas le vélo n'est une bicyclette. Rien de commun. Rien à voir. Rien à faire. (...) La bicyclette, c'est la bécane tordue du facteur, le biclou rouillé du curé, la charrue de la grand-mère, la sœur jumelle de sa machine à coudre. La bicyclette, c'est le percheron couronné, le véhicule utilitaire. En raccourci violent, le tracteur auprès du bolide de formule 1. On la reconnaît sans mal, la gueuse, à sa grosse selle camuse à ressorts, à ses garde-boue, à ses porte-bagages, à ses pneus d'arrosage, à sa sonnette, à sa lanterne et, surtout, à son guidon informe de toutes sortes, sauf la noble, dite "de course". Ce guidon "à la papa", je me retiens de ne pas le traiter d'infâme, d'ignominieux. Somme toute, non, je ne me retiens pas. Cet objet ridicule et laid me répugne. Je le hais, avec ses révoltantes poignées de caoutchouc, encore plus atroces depuis qu'elles sont de plastique. Qu'on ne s'y trompe pas : mon ostracisme envers cet engin sans élégance sera aussi écœurant que sa silhouette à cornes bovines. Il déshonore autant la sainte vélocipédie qu'une femme sans grâce ni charme ni attrait rabaisse le sexe féminin à la physiologie la plus élémentaire. Il est boulot-métro-dodo. Le vélo, messieurs, c'est Garbo-Bardot-Moreau. » Ne nous reprochez cette trop longue citation que si, au détour de ce morceau de bravoure, vous doutez encore du pouvoir évocateur des mots. Et peu importe, au fond, que vous soyez ou non de l'avis de Fallet ; si pour vous le vélo évoque le facteur de Jacques Tati, alors que bicyclette vous semble bien être le seul mot qui convienne à l'engin racé d'un Lance Armstrong... L'essentiel n'est-il pas que les dictionnaires proposent, et que, pour le plus grand bonheur de la poésie, l'usager dispose ?