Nouvel an ? Nouvelle année ?
On marche sur des... vœux !
Les puristes respecteraient-ils, eux aussi, la trêve des confiseurs ? Toujours est-il que, la bouche pleine de sucreries, ils ne trouvent rien à redire à la coexistence, pour l'heure pacifique, de nouvel an et de nouvelle année. Vous pouvez donc, ami lecteur, user indifféremment de l'une ou de l'autre formule, histoire de ne pas mettre tous vos vœux dans le même panier !
Chassez le purisme...
Au demeurant, profitez-en, car la tolérance a bien évidemment ses limites : ne poussez pas votre avantage, par exemple, jusqu'à souhaiter le bon an à vos proches, à moins, bien sûr, que vous ne briguiez pour étrennes un certificat de ringardise en bonne et due forme : celui-là n'a plus cours que dans l'expression bon an mal an. C'est que les deux termes dont nous parlons ne sont pas, en théorie, interchangeables, il s'en faut d'ailleurs de beaucoup. An, plus ancien de près d'un siècle, a un caractère essentiellement ponctuel et s'emploiera plus volontiers pour marquer la date et l'âge. Année, qui dérive du premier, insiste davantage sur la durée, l'écoulement du temps. Il le doit de toute évidence à son suffixe -ée, lequel marque d'ordinaire, on le sait, une quantité : de ce fait, l'année est à l'an ce que la cuillerée est à la cuiller ; ce que journée, matinée et soirée, après tout, sont à jour, à matin et à soir. Georges Duhamel résume parfaitement la situation lorsqu'il écrit : « À mon sens, l'année, c'est le contenu d'un an. Je dirai : il est mort à l'âge de cinquante ans. Il avait passé à Paris dix années de sa jeunesse. » Encore eût-il pu, dans ce dernier cas, et sans risque d'être contredit, écrire dix ans de sa jeunesse, aucun grammairien ne s'opposant à l'utilisation de an, après un numéral cardinal, pour exprimer la durée : qui, un jour ou l'autre, n'a redouté d'avoir à attendre cent sept ans pour obtenir ce qu'il désirait ? En revanche, année est de rigueur après une épithète (dix belles années) ou un numéral ordinal (il entrera sous peu dans sa cinquantième année).
Un an de... disgrâce ?
Du reste, la vérité oblige à dire que les jours de l'an semblent comptés. De plus en plus supplanté par son alter ego année, et pour des raisons qui tiennent autant, sinon plus, à l'euphonie qu'à la logique (on comprend sans trop de peine pourquoi chaque an, tant d'ans, d'an en an se sont vu préférer chaque année, tant d'années, d'année en année), il a tendance à se réfugier aujourd'hui dans la langue poétique (le poids des ans) et les locutions figées (le jour de l'an, au gui l'an neuf, le bout de l'an, une fois l'an, en l'an de grâce, etc.). Mais c'est la disgrâce, on le sent bien, qui se profile à l'horizon...
Autant en emporte l'an !
Cela dit, et sans aller jusqu'à donner raison aux insensibles qui se moqueraient d'une telle défaveur comme de... l'an quarante, il y a mieux à faire qu'à pleurer sur le sort du laissé-pour-compte : l'occasion est ici trop belle, le moment trop opportun pour ne pas mettre l'usager en garde contre l'expression meilleurs vœux, laquelle va sûrement faire florès au bas de bien des cartes de visite, dans les jours qui viennent ! Comme il s'agit en effet d'un superlatif et non d'un comparatif (il n'a jamais été question, jusqu'à plus ample informé, de présenter des vœux meilleurs, plus efficaces que ceux de l'année précédente, mais bel et bien de former les vœux les meilleurs qui soient), mieux vaut les assortir d'un possessif qui dissipera toute équivoque : mes meilleurs vœux, nos vœux les meilleurs... C'est ce que je m'empresse de faire à mon tour, cher lecteur, avec l'espoir que vous prendrez, à nos rendez-vous de 1996, autant de plaisir que moi-même : puisse cette chronique éloigner de vous l'infortune... et les maux !