Le feuilleton préféré de l'Europe
Ma sorcière bien-aimée
Décidément, il ne se passe pas un jour sans que se voie confirmé ce que nous écrivions dès 1997 : l'Europe a, pour la langue de Shakespeare, les yeux de Chimène. N'est-elle pas en passe de renoncer, pour raison d'économie, à l'obligation, faite jusqu'ici à quiconque déposait, dans sa langue d'origine, un brevet à l'Office de Munich, de le traduire en français, en anglais et en allemand ? Une seule de ces trois langues serait désormais requise et, si sa nature n'est pas précisée — on est hypocrite ou on ne l'est pas —, point n'est besoin d'être grand clerc pour deviner de laquelle il s'agira. Autre mauvais coup, relevé par Dominique Jamet dans le numéro 183 de Marianne : la Cour européenne de justice vient de blanchir un supermarché de Clermont-Ferrand, qui, au mépris de nos lois, avait mis en vente un lot de boissons étrangères — des ciders, que l'on aurait tort de confondre avec du cidre — sans les étiqueter en français. Il n'y aurait pas lieu, selon ladite Cour, de « faire prévaloir la langue spécifique d'un pays de la Communauté sur une langue suffisamment répandue pour être comprise par les consommateurs » ! Est-ce assez clair ? L'anglais étant supposé connu de tous, l'étiquetage en français n'est plus obligatoire en France. Déconcertante Europe qui, pour faire pièce à l'hégémonie du grand Satan américain, s'empresse d'adopter (outre ses sorcières) sa langue et, partant, ses schémas de pensée ! C'est Georges Pompidou qui doit se retourner dans sa tombe, lui qui déclarait, il y a des siècles : « Si demain, l'Angleterre étant entrée dans le Marché commun, il arrivait que le français ne reste pas ce qu'il est actuellement, la première langue de travail de l'Europe, alors l'Europe ne serait jamais tout à fait européenne. Car l'anglais n'est plus la langue de la seule Angleterre : il est avant tout, pour le monde entier, la langue de l'Amérique. » Eh bien, c'est arrivé. Mais que cela ne vous empêche pas de fêter dignement Halloween. Et n'oubliez pas d'apporter des bonbons. Parce que, comme disait l'autre, les langues c'est périssable...