Nommé, promu, élevé...
C'est le tiercé dans l'Ordre !
Mais que diable va-t-on faire de ces Bleus, lesquels, au mépris d'une tradition que l'on croyait pourtant bien établie et qui confiait au Français le rôle du plus sympathique des perdants, enfilent désormais les victoires comme de vulgaires perles ? Pas question de leur donner la Légion d'honneur, ils l'ont déjà. On peut toujours, certes, en excipant du caractère exceptionnel des services rendus, transformer leurs rubans en rosettes mais ce serait là mettre le doigt dans un dangereux engrenage : au rythme où vont les choses, certains risqueraient d'être grands-croix avant la trentaine ! Et puis, quel pourrait être l'impact d'une promotion dont plus personne ou presque ne perçoit ni ne respecte le sens exact ? Il n'est sans doute pas superflu de rappeler, à quelques jours du 14 Juillet, que ladite promotion suppose une accession à un grade plus élevé au sein d'une hiérarchie. C'est donc à tort que nombre de gazettes ont fait savoir à leurs lecteurs, peu après le triomphe de la Coupe du monde, que les Bleus avaient été promus chevaliers de la Légion d'honneur. En toute logique, de promotion il ne saurait y avoir que pour ceux qui deviennent officiers ou commandeurs : le chevalier, de son côté, ne peut se targuer que d'une nomination. On nous dira que la chose est secondaire (qu'importe l'emballage, pourvu qu'on ait le ruban !) mais si l'on se met à ne plus rien distinguer au royaume des distinctions, si le désordre s'installe dans les ordres eux-mêmes, où va-t-on ? Au point où nous en sommes, précisons qu'à l'étage supérieur l'on n'est plus nommé ni promu mais élevé à ce qui n'est d'ailleurs plus un grade mais une dignité : grand officier (sans trait d'union) ou grand-croix (avec trait d'union). On comprend que Jacques Chirac, qui trouve autant de mérite, sinon plus, à un cordon-bleu qu'à un ruban rouge, se soit pour l'heure borné à inviter l'équipe de France à déjeuner. Un médaillon de foie gras, ce sera toujours moins risqué qu'une de ces médailles avec lesquelles, linguistiquement parlant, personne n'est jamais à l'abri... d'un revers !