Contre le crépuscule de la langue
La promesse de l'aube ?
Si nous devions laisser parler notre inquiétude pour la langue française (voir, entre autres articles, notre précédente chronique), nul doute que, sur cette marguerite que les ministères de la Culture et des Affaires étrangères nous donnent ci-contre à effeuiller, c'est le mot trouble qui eût d'abord retenu notre attention. Mais parce qu'il ne saurait être question, surtout en cette semaine du « français comme on l'aime », de noircir outre mesure la situation, c'est sur le pétale aube que nous avons finalement jeté notre dévolu, comme sur une note d'espoir et... pour conjurer le sort ! Ledit mot, dérivé du latin classique albus, connote en effet la blancheur, au même titre qu'albatros, albinos, albumine, aubépine ou aubade (mieux vaut taire le fait que celle-ci soit « du matin », à moins que l'on ne milite pour la réhabilitation du pléonasme). Au même titre, encore, qu'album, à l'origine tableau blanc où l'on inscrivait le nom des notables romains. Au même titre, toujours, qu'Albion, laquelle, la jugeât-on bien plutôt noire et perfide, devrait ce surnom à ses célèbres falaises calcaires... Rien d'étonnant, dès lors, à ce que très vite le terme se soit appliqué à cette clarté laiteuse, incertaine, virtuelle plus que réelle, qui précède le lever du jour. Car si les Romains ignoraient évidemment tout de ces poétiques « tablets » qui, depuis peu, dopent nos lessives, ils avaient compris, bien avant Omo et quoi qu'en dît, plus tard, le regretté Coluche, que l'on pouvait laver « plus blanc que blanc ». Ils avaient d'ailleurs un mot pour ça : candidus, préposé aux blancheurs éclatantes et nivales. Celui-là même, soit dit en passant, que l'on retrouve dans candidat : ce dernier n'était-il pas, du temps qu'il briguait une fonction dans la Rome impériale, revêtu d'une toge blanche... dont la logique et l'étymologie voudraient qu'elle fût autrement nette et pure — ô sacrilège ! — que l'aube de nos ecclésiastiques et premiers communiants ? Voilà en tout cas qui devrait éviter à nos candidats d'aujourd'hui, à quelque trois mois du bac, voire à un an des élections municipales, de broyer inutilement... du noir !