Préface
par Robert Lassus, Prix Rabelais
(avec la collaboration involontaire de Victor Hugo)
Bruno Dewaele, cet enfant du Plat Pays qui est le mien (le Plat Pays, pas l'enfant), m'a demandé de lui écrire cette préface le jour même où, pour mon prochain ouvrage, je recevais celle que j'avais sollicitée de Raymond Castans, auteur à succès, ironiste patenté, et directeur général de Radio-Télé-Luxembourg, une station qui m'emploie et où l'on me pardonne d'écrire des livres dits « rigolos ».
C'est un bon point pour Bruno Dewaele et pour moi : ce chassé-croisé de préfaces prouve que les grands humoristes (hum !), comme les grands esprits, se rencontrent.
Bruno Dewaele est un humoriste. Il le sait. Beaucoup le savent. Il voudrait que beaucoup plus de Français, encore, l'apprennent à leur tour. Qu'il patiente un peu : je suis persuadé que, rapidement, ce sera chose faite.
En lisant d'un œil gourmand ce plat bien mitonné qu'est « Comme sur des roulottes ! », je me posais cette grave question entre deux sourires :
— « Qu'est-ce que l'humour ? »
J'avoue ne pas le savoir.
Pour Max Jacob, « l'humour est une étincelle qui voile les émotions, répond sans répondre, ne blesse pas, et amuse. »
Pour monsieur l'abbé Laurentin, (pour qui l'humour n'a plus de secret puisqu'il est le frère de ma consœur et amie d'antenne Ménie Grégoire), « l'humour fait partie de la béatitude des pacifiques car il désarme les guerres. »
Pour Wolinski, « l'humour est le plus court chemin d'un homme à un autre. »
L'humour de Bruno Dewaele est, lui, basé sur :
- une ironie jamais blessante mais qui « veut bien dire ce qu'elle ne semble pas vouloir dire » ;
- un don d'observation : l'oreille et l'œil de l'humoriste constituent, dans ce cas, le plus perfectionné des appareils capables d'enregistrer l'aspect aigu des sons et des images ;
- l'excellente idée qu'il a eue, en écrivant « Comme sur des roulottes ! », de camper (si j'ose m'exprimer ainsi) des personnages de tous les jours, des gens comme vous, moi et les autres.
On sourit en effet beaucoup plus devant les mille et un travers qui sont nôtres que devant les mille et un travers de gens dont le mode de vie nous échappe.
Dans « Comme sur des roulottes ! », Bruno Dewaele évoque — je cite — « les immortels alexandrins du père Hugo : Oh ! combien de marins, combien de capitaines... » À partir de ces quelques mots j'ai fait appel à ce même « père Hugo » qui n'a pas hésité à m'apporter son involontaire collaboration dans le but, très louable et purement gratuit, d'épauler l'œuvre et le talent de Bruno Dewaele.
Cinq... quatre... trois... deux... un... zéro... Victor, c'est à toi :
Caravano Nox
Oh ! combien de roulottes, combien de caravanes
Qui sont parties joyeuses pour des vacances sans panne,
Sur les routes de France, se sont évanouies !
Combien ont stationné, fière et bonne fortune,
Sur des terrains ombreux, par une nuit sans lune,
Dans l'anonyme camp, égayé par les cris.
Combien de vacanciers, avec leurs équipages !
L'ouragan des vacances a pris tous leurs bagages,
Et d'un souffle il a tout étalé sur le camp !
Nul ne saura leur fin dans le mois d'août plongée.
Chaque voisin, en passant, d'un butin s'est chargé ;
L'un a saisi la roue, l'autre le papier vécé !
Nul ne devine vos sorts, caravanes perdues !
Vous roulez à travers de vastes étendues,
Heurtant de l'avant droit des arbres inconnus !
Oh ! que de vieilles roulottes vivant un dernier rêve
Sont mortes en attendant en bordure de la grève
Ceux qui, finalement, sont revenus.
On s'entretient de vous parfois dans les veillées.
Maint joyeux cercle, le dos à la télé,
Mêle encor quelque temps vos noms d'ombre couverts
Aux rires, aux souvenirs, aux films d'une aventure,
Aux rêves que l'on fait aux vacances futures,
Tandis que vous dormez au pied d'un arbre vert.
On demande : Que fait-elle, là-bas, dans son exil ?
Passera-t-elle l'hiver ? Saluera-t-elle l'avril ?
Puis son souvenir même est enseveli.
Sa forme est oubliée, son intérieur s'abîme.
L'hiver qui, sur toute ombre, renverse un grand abîme,
Dans le froid et la neige jette le sombre oubli.
Et quand l'été enfin a rouvert les paupières,
On retrouve la roulotte d'utilité première,
Dans le terrain herbu où le soleil se glisse.
On retrouve l'emplacement, le point d'eau, les délices,
Les toilettes, les jeux pour les enfants
Qui criaillaient de joie dans l'été triomphant.
Et l'on repart joyeux à l'assaut des vacances.
Ô caravanes, que vous avez de gaies réminiscences,
Camps envahis, caravanes rangées et mises bout à bout !
Vous vous les racontez en attendant l'août,
Et c'est ce qui vous fait ces grincements de roues
Que vous avez l'été, quand vous roulez pour nous.
Souhaitons donc une très bonne route à ce récit humoristique de Bruno Dewaele. Un souhait qui deviendra réalité, Pierre-Henry Beaurinache, le distingué secrétaire perpétuel de l'Académie des caravaniers humoristes, m'ayant confié l'autre jour sous le sceau du secret :
— « Comme sur des roulottes ! » ? Un récit humoristique qui marchera « comme sur des roulettes »...
Sur cette noble, émouvante et encourageante parole, il ne me reste plus qu'à espérer avoir préfacé un des livres du « Pierre Daninos de l'an 2000 ».