Emploi des temps et des modes

Comme s’il ne suffisait pas d’identifier les temps et les modes ! N’est-ce pas, monsieur, qui êtes tout excusé, rassurez-vous, de ne pas retrouver le nom du plus-que-parfait et dont nous trouvons très convaincant le « Ce sont des notions qu’on a tendance à oublier » ? Mais on vous demande de surcroît de déterminer leur rôle ! Certains, avouons-le, ne se sont pas si mal débrouillés et ils se débrouilleront bien mieux encore, à présent qu’à n’en pas douter ils ont pris connaissance de la précédente leçon... Tout cela, malgré tout, ne permet pas d’en finir avec les temps et les modes. Il faut encore être au fait de leurs affinités car, qu’on se le dise, ces messieurs ne fréquentent pas n’importe qui : ils ont leurs petites habitudes, leurs préférences, leurs atomes crochus, quoi. Inversement, il leur arrive aussi d’avoir leurs bêtes noires, et la fameuse phrase de l’école primaire, « Monsieur Si n’aime pas les rais », pour naïve qu’elle semblât, n’était pas totalement dénuée de fondement. C’est ce que notre grammaire, toujours pudique, a baptisé la « concordance des temps ». Mais pour démêler toutes ces histoires de famille, rien ne vaut les femmes : vous allez être gâtés, en voici trois qui vont tout vous dire...

 

Quand nous vous disions qu’il ne s’agissait pas d’utiliser n’importe quel temps n’importe comment ! Mais vous vous en doutiez. Ce que vous a appris, ou simplement remis en mémoire, cette courte scène, c’est qu’à chaque temps simple de l’indicatif correspond un temps composé : au présent le passé composé, à l’imparfait (et comme son nom l’indique, oui mademoiselle) le plus-que-parfait, au passé simple le passé antérieur, au futur simple le futur antérieur. Certains grammairiens, qui font, nous l’avons dit, du conditionnel un temps de l’indicatif ajouteront : au conditionnel présent, le (ou les) conditionnel(s) passé(s), car ceux-là sont deux, pour faire bonne mesure. Gardez-vous de briser ces couples, et de faire vivre à la colle, par exemple un passé simple avec un plus-que-parfait : de telles unions, contre nature, sont, d’avance, vouées à l’échec. Et si par extraordinaire vous craignez d’oublier qui est marié avec qui, jetez un coup d’œil sur l’alliance, nous voulons dire sur l’auxiliaire du temps composé. J’avais mangé ? L’auxiliaire avoir est conjugué à l’imparfait, c’est bien à lui, par conséquent, que correspond ce plus-que parfait. Il eut mangé ? Ce passé antérieur voit son auxiliaire conjugué au passé simple : c’est par rapport à celui-ci qu’il marquera une antériorité.

Autre révélation de taille, et qui vient mettre à mal, au moins partiellement, l’une des rares certitudes, il faut bien le dire, de nos malheureux cobayes : le conditionnel n’exprime pas toujours, quoi qu’ils en pensent, une action soumise à une condition. Très opportunément, il vient de vous être rappelé qu’il peut aussi traduire une action postérieure à une action passée. Quand nous disons « Nous savions que cette série de leçons de grammaire serait un succès », il n’y a pas là place pour quelque condition que ce soit. Le succès n’a jamais fait pour nous le moindre doute. Ce conditionnel-là n’est en fait, comme on vous l’a dit, qu’un futur du passé. Si le verbe de la proposition principale devenait un présent, c’est tout naturellement que l’on passerait au futur simple : « Nous savons que cette série de leçons de grammaire sera un succès. »

Mais à un tel gâteau, il fallait bien une cerise : c’est chose faite avec la fameuse concordance des temps au subjonctif. Nos passionnées de théâtre et de langue classique nous ont bien sûr rappelé, et nous n’en attendions pas moins d’elles, qu’à un verbe passé dans la proposition principale se devraient, en principe, de correspondre un subjonctif imparfait ou un subjonctif plus-que-parfait dans la subordonnée : « Le metteur en scène voulait qu’il entamât, subjonctif imparfait) sa tirade sur-le-champ » ou « regrettait qu’il ne l’eût pas entamée (subjonctif plus-que-parfait) plus tôt ». Mais cette concordance des temps orthodoxe, on vous l’a laissé entendre, n’est plus guère respectée à la lettre que par les écrivains, et encore... Ceux mêmes qui seraient en mesure d’y obéir, c’est-à-dire ceux qui maîtrisent la conjugaison du subjonctif imparfait, et ils sont malheureusement de plus en plus rares, n’osent pas toujours y recourir, par peur de sombrer dans le ridicule ou d’être taxés de préciosité. C’est ainsi que, peu à peu, le subjonctif présent a pris la place du subjonctif imparfait, le subjonctif passé celle du subjonctif plus-que-parfait. Personnellement, nous nous permettrons de le déplorer. D’abord parce que, nous l’avons dit et redit, renoncer à un temps, c’est, qu’on le veuille ou non, sacrifier un peu de la richesse d’une langue. Certes, à certaines personnes, notamment à la première et à la deuxième du pluriel, le subjonctif imparfait passe mal. Quel est le professeur des écoles qui oserait dire à ses jeunes élèves, aujourd’hui : « J’aurais aimé que vous sussiez (avec deux « s », bien sûr) votre leçon par cœur » ? Il aurait bien trop peur que les élèves en question ne... portassent ladite leçon à la bouche ! À la troisième personne du singulier, en revanche, l’imparfait du subjonctif ne manque pas d’élégance et c’est un déchirement que de le voir, lentement mais sûrement, quitter la scène après avoir été servi par tant de grands auteurs. Certains, qui entendent toujours et encore résister à cet envahisseur moderne qu’est le laxisme grammatical, n’entendent d’ailleurs pas s’y résoudre, puisque, notre garçon de café ne nous a pas menti sur ce point, un comité pour la réhabilitation et l’usage du passé simple et de l’imparfait du subjonctif s’est constitué, il y a peu, à Monpazier, en Dordogne. La preuve, ô combien réconfortante, que la langue intéresse encore les populations, et qu’elle n’est pas seulement défendue par les académiciens du quai Conti !

 

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