Accord du participe passé :
cas particuliers

Oh ! si, cher Monsieur, il y a des exceptions... Est-il, du reste, un secteur de notre grammaire qui y échappe ? Cela dit, nous n’aimons pas trop ce terme d’exceptions car, neuf fois sur dix, dans le cas de l’accord du participe passé, il s’agit de particularités plus que d’authentiques dérogations à la règle, et presque toujours elles peuvent s’expliquer par la logique. Mais laissons le soin aux protagonistes de la scène qui va suivre de les passer en revue. À tout à l’heure... ?

 

N’est-il pas réconfortant de constater que les garçons de café s’intéressent de la sorte aux subtilités de l’accord du participe passé ? Cela dit, attention : de même que l’on peut disposer d’excellents produits et se fourvoyer dans les dosages du cocktail, il ne suffit pas, en grammaire, de connaître les règles, il faut encore les interpréter avec prudence, ce que, dans son enthousiasme de néophyte, notre homme n’a pas toujours su faire...

Le participe passé reste invariable quand il est précédé du pronom en, nous a-t-il affirmé. À supposer déjà que tous les écrivains s’entendent là-dessus, ce qui est loin d’être acquis, cela n’est pas vrai dans tous les cas, et surtout pas dans l’exemple que notre professeur d’un jour s’est choisi. La règle ne vaut, en effet, que lorsque en fait fonction de complément d’objet direct : « Des bonnes notes, on en a mis (et non mises, en effet) toute la journée ! ». Pour vous assurer que en joue bien, dans ce cas précis, le rôle d’un complément d’objet direct, voici un truc infaillible : il n’est pas possible de le retirer de la phrase. « Des bonnes notes, on a mis toute la journée » relèverait, de toute évidence, du charabia. En revanche, dans la phrase que nous a proposée notre garçon de café (« Ce sont les seules choses que j’en ai retenues »), il n’est nullement impossible de retirer en : « Ce sont les seules choses que j’ai retenues » est parfaitement correct. C’est que ce en-là n’est pas le c.o.d. ; le véritable complément d’objet direct, c’est que, mis pour choses, et l’accord se fera tout naturellement avec ce féminin pluriel : « Ce sont les seules choses que j’en ai retenues. Tel est pris qui croyait prendre, cher garçon de café ! Mais je ne vous en veux pas, ce n’est pas moi qui verserais un demi sans faux col...

Autre réserve, moins grave celle-là : s’il est parfaitement exact qu’il faut se méfier du pronom neutre l’ quand il représente, non pas un être ou un objet, mais l’idée contenue dans la proposition précédente ; s’il est tout aussi vrai qu’il faut, dans ce cas précis, laisser invariable le participe passé : « Cette voiture est moins chère que nous ne l’avons cru », car qu’est-ce que nous avons cru ? Non pas « la voiture », mais « que la voiture était chère » ; il n’en reste pas moins que l’exemple retenu par notre garçon de café (« Cette répétition, la metteur en scène l’a jugé nécessaire ») est sujet à caution. La tendance actuelle, dans ce cas précis où le participe passé est suivi d’un attribut du complément d’objet direct, est de plus en plus à l’accord, même si l’invariabilité, reconnaissons-le, est toujours tolérée. Qui ne se souvient de ce passage de la célébrissime dictée de Mérimée : « elle s’est cru obligée de frapper l’exigeant marguillier », que l’on aurait plutôt tendance, aujourd’hui, à écrire crue... Notre garçon de café, cette fois, est plus royaliste que le roi, mais l’on pardonnera au grammairien, trop souvent accusé d’immobilisme et de conservatisme, de lui rappeler que la langue évolue, et ses règles avec elle !

Nous ne voudrions pourtant pas clore ce chapitre sans éteindre l’inquiétude de notre pompier concernant l’accord du participe passé des verbes pronominaux. Inquiétude légitime pour deux raisons au moins. D’abord ces verbes-là, qui, comme leur nom l’indique, sont accompagnés d’un pronom (me, te, se, nous, vous) désignant le même être ou le même objet que le sujet, sont fréquents et se glissent plus souvent qu’à leur tour dans notre conversation ou nos écrits. Ensuite, comme ces verbes pronominaux se conjuguent toujours avec l’auxiliaire être, on a naturellement tendance à accorder leur participe passé avec le sujet. Malheureusement, ce réflexe est loin d’être toujours indiqué, et tout dépend du verbe pronominal auquel on a affaire.

Si c’est un verbe essentiellement pronominal, entendez par là un verbe qui n’existe qu’à la forme pronominale (ex. s’écrouler, s’enfuir, se souvenir : écrouler, enfuir, souvenir n’existent pas seuls), ne vous faites pas de souci et accordez son participe avec le sujet : « elle s’est écroulée sur la scène », « ils se sont enfuis dans la coulisse », « elles se sont souvenues de leur texte ».

S’il s’agit au contraire d’un verbe accidentellement pronominal, c’est-à-dire d’un verbe qui peut exister sous une forme autre que pronominale, il faut oublier que l’auxiliaire est être, et appliquer la règle du participe passé construit avec l’auxiliaire avoir. On se demande alors où est situé le complément d’objet direct, et l’on accorde en conséquence : « elle s’est blessée en montant sur scène », « ils se sont battus pour le rôle ». (Elle a blessé qui ? elle-même ! Ils ont battu qui ? eux ! Les pronoms s’ et se sont bien compléments d’objet direct, et ils sont placés avant le participe passé : celui-ci s’accorde)

Mais il arrive aussi que le participe reste invariable. C’est le cas quand il n’y a pas de complément d’objet direct : « les acteurs se sont longuement parlé à l’entracte », « les mises en scène se sont succédé ». (Les pronoms se, dans ces deux cas, ne sont pas compléments d’objet directs mais compléments d’objet indirect : on parle à quelqu’un, on succède à quelqu’un). C’est aussi le cas chaque fois que le c.o.d. est placé après le participe : « ils se sont lavé les mains. » (Qu’est-ce qu’ils se sont lavé ? les mains ! Le c.o.d. étant placé après le participe, il n’a aucune influence sur l’accord ; quant au pronom se, il n’est ici qu’un complément d’objet second). Mais on écrirait : « ils se sont lavés, se étant dans ce cas un véritable c.o.d. (ils ont lavé qui ? eux !).

Méfiance, par conséquent : la règle de l’auxiliaire être ne vaut pas pour les verbes pronominaux ! Là encore, nombreux sont les grammairiens d’aujourd’hui à le regretter. Joseph Hanse, notamment, souhaitait que, « conformément à la logique, à l’histoire de la langue et à certaines tendances de l’usage actuel, on renonce à imposer cette règle et qu’on puisse accorder le participe avec le sujet, puisqu’il est conjugué avec être ». Quelque respect que nous lui portions, nous ne le suivrons pas, personnellement, sur ce terrain. La distinction entre les différentes catégories de pronominaux est certes exigeante, elle ne nous paraît jamais illogique ni gratuite. Et le révisionnisme actuel nous semble inspiré, beaucoup plus que par la recherche d’une plus grande rationalité de l’outil grammatical, par une paresse intellectuelle qu’hélas nous ne connaissons que trop...

 

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